Une note sur le trac

Le trac, une formidable manifestation du « petit moi ».

L’origine du mot trac provient par analogie de la traque animale. L’animal se sentant acculé par le chasseur, il a déclenché un processus d’hyper stress d’anticipation pour favoriser sa fuite devant un danger qui met en péril sa vie. C’est donc ce même mécanisme psychologique qui se met en place lorsque l’on a le trac ! vous rendez-vous bien compte de l’inadéquation aberrante à la situation vécue? … Mais que risque-t-il de se passer lorsque je vais prendre la parole ou chanter devant un public ? Va-t-il y avoir un tremblement de terre ? une tempête ? Les spectateurs risque-t-il de tous se lever pour venir m’étrangler sur scène ? Une horde d’Hyène silencieuse cachées dans les coulisses va-t-elle investir brutalement la scène pour m’attaquer sauvagement dès lors que je vais y poser un pied ? Et pourtant notre corps se met en alerte comme si un réel danger vital venait se présenter devant nous !

Nous sommes en situation de fuite, nous cherchons donc à fuir le moment présent pour aller vers un futur exempté de tout péril vital.

Notre corps évidemment somatise cet hyper stress de manière très actif : Le cœur qui accélère, le corps se raidi, la bouche se sèche, la tête tourne… Tout en nous est en lévitation afin de fuir cette situation périlleuse. Bref il y a plus d’encrage au sol, notre appareil phonatoire est totalement hors d’usage et incapable d’assurer une émission vocale correcte : le larynx remonte, les cordes vocales se dissocient, la respiration se fait agitée et thoracique plutôt que diaphragmatique…

Alors que le secret d’un beau chant étant le ici est maintenant, en situation de trac nous sommes déjà là-bas et ailleurs…

Marcella Sembrich (grande soprano début 20ème S) avouait : « la seule idée de chanter le soir constitue pour moi une telle torture que j’ai la sensation que ni l’or ni la gloire ne sauraient me dédommager du moment terrible où je dois apparaître devant la rampe. Je souffre à cette heure atrocement. » Maurane avant d’entrer en scène confiait à un journaliste : «je ne vous souhaite pas ça, je ne le souhaite à personne, et je vous jure que l’on a tellement la trouille qu’on se demande, si l’on n’a pas franchement intérêt à devenir fleuriste ou pharmacienne… ».

Qui parle ?

Malgré leurs grands talents artistiques, ces deux artistes nous montrent ici leurs totales identification à leurs « petit moi », leurs personnages 3D fait de toutes les limites afférentes à la condition humaine. Leurs « petit moi » a le pouvoir absolu tant qu’il n’est pas sur scène. Il légitime, à juste titre, son incapacité à exprimer la toute-puissance de ce qu’il se refuse à identifier : L’Âme qui l’habite.

Aussi génial et talentueux soit-il, un artiste redevient minuscule, du moins le croit-il, lorsqu’il se retrouve hors contexte. Son mal être, sa souffrance au quotidien, se manifeste la plupart du temps, parce qu’il a fermé la porte sur l’infinitude de la puissance de son âme quand son « petit moi » reprend le pouvoir. Il a connu sur scène cet état de complétude et d’infinie puissance, il retrouve hors de scène le plancher des vaches et l’atterrissage est donc frustrant et douloureux. Comment pourrait-il envisager à cet instant de se dépasser puisque tout lui montre les limites de son personnage. Le carrosse est redevenu citrouille…. Et la citrouille ne voit plus l’ombre d’un carrosse ! Je ne crois malheureusement que ce que je vois….

La peur d’entrée en scène est à peu près la même pour l’artiste amateur ou l’artiste professionnel, ce qui les différencie réside juste dans l’aptitude de ce dernier, à, complétement lâcher prise au moment précis où il va commencer sa prestation. Le personnage capitule, accepte de s’abandonner à son nom contrôle et laisse faire une énergie plus vaste.

Nous avons tous cette puissance illimitée si nous décidons de lâcher cette identification à ce que nous appelons notre personnalité !

Nicolas Luciani